Le nouvelles logiques du bénévolat

11.06.2021
Près de 5000 personnes ont offert une partie de leur temps pour Caritas en 2020. La pandémie du coronavirus a mis en lumière l'importance d'un renouvellement constant des bénévoles dont les motivations évoluent.
« Merci. C’est bien ce que vous faites ! » Accompagnés d’un grand sourire, ces quelques mots font instantanément oublier le froid qui vous étreint et vos pieds devenus glaçons lors de cette journée de récolte alimentaire de fi n novembre dernier placée sous le signe du Samedi du partage. Organisée régulièrement dans la région lausannoise et à Genève, elle permet de récolter des tonnes de nourriture et de produits d’hygiène redistribuées aux plus précaires. Aux côtés d’autres bénévoles, le plaisir de se sentir utile aide à surmonter sa frilosité et stimule l’envie de s’engager plus régulièrement.

Si le plaisir est la motivation essentielle des bénévoles suisses (70%), c’est la volonté de rencontrer (56%) et d’aider (52%) les autres qui pousse plus particulièrement ceux qui s’engagent dans des organisations caritatives comme Caritas selon L’Observatoire du bénévolat 2020.


« On m'a aussi soutenu »
« J’ai toujours eu le besoin d’aider les autres », explique Alex Lehmann, 42 ans, engagé auprès de la Centrale Alimentaire de la Région Lausannoise (CA-RL), une prestation soutenue par la Ville de Lausanne gérée par Caritas Vaud, qui a pour mission de fournir une aide alimentaire à plus de trente associations du grand Lausanne venant en aide aux personnes en situation de précarité. Grâce au dernier Samedi du partage, elle a reçu plus de 50 tonnes de denrées alimentaires et de produits d’hygiène.

« On m’a aussi soutenu », relate le bénévole de la CA-RL en précisant : « Ce sont souvent les gens qui ont le moins qui vous donnent le plus. Je passe ma vie entre la Suisse et les Philippines. Là-bas, je suis arrivé sans rien. J’ai même connu la faim et ce sont les plus pauvres qui ont partagé de la nourriture avec moi. Cela fait chaud au coeur et au corps. »

 

« Le plaisir le plus
délicat est de faire
celui d’autrui »

Jean de La Bruyère


Du temps sans argent
Plus de 200 000 heures de travail ont été offertes au réseau Caritas (organisations régionales) et à Caritas Suisse en 2020, de la part de bénévoles plus nombreux avant la pandémie, car une partie d’entre eux est constituée de personnes retraitées invitées à rester à la maison en tant que personnes à risque. Sans elles, les organisations Caritas qui en comptent un grand nombre, ont rapidement dû trouver d’autres solutions pour continuer à répondre aux besoins de ses bénéficiaires. Les plateformes de bénévolat en ligne mises en place au niveau national
et cantonal ont contribué à trouver rapidement les forces nécessaires. La plateforme principale, www.benevol-jobs.ch, relaie en tout temps les demandes de quelque 2783 organisations dont Caritas. Les réseaux sociaux sont également devenus une source d’informations pour certains bénévoles, comme Alex qui y a trouvé la recherche de volontaires de Caritas Vaud pour la CA-RL.

Être en lien avec les autres
Audrey Corlay, 30 ans, est passée quant à elle par la plateforme, créée spécialement par le Canton de Vaud au plus fort de la crise, pour s’engager dans le bénévolat. Celle-ci a retenu toute son attention. « Sans travail, je voulais me sentir utile et aussi nouer des liens avec de nouvelles personnes. Aujourd’hui, j’ai retrouvé du travail. J’aimerais continuer à faire quelque chose pour les autres tout en ayant une certaine flexibilité. » Estime de soi et entretien d’un réseau relationnel sont des motivations phares pour le bénévolat actuel, notamment parmi les jeunes qui souhaitent effectivement une activité flexible voire en ligne, et acquérir de nouvelles compétences. « En travaillant à la centrale alimentaire, j’ai pris conscience de l’importance de chaque don car j’ai aussi travaillé pour le Samedi du partage. Tout cela m’a aussi appris à moins gaspiller. »


"Une activité bénévole n’est pas une contrainte,
mais vraiment un plaisir de rencontrer
des personnes différentes de soi,
et qui ouvre sur de nouveaux horizons."


En Suisse, en 2020, 35% des bénévoles désirent aussi rendre un peu de ce qu’ils ont reçu. C’est le cas de Laurence Strippoli, 51 ans, secrétaire bénévole à la CA-RL. Psychologue indépendante, elle aimerait retrouver un poste de salariée. « J’ai eu des gros soucis de santé quand j’étais jeune. Dans ce contexte, le soutien d’autres personnes a été fondamental. J’ai moi-même créé une association pour les malvoyants. Aider les autres m’enrichit, me porte et renforce mon estime personnelle. J’aimerais dire aux jeunes qui hésitent à s’engager dans une activité bénévole que ce n’est pas une contrainte, mais vraiment un plaisir de rencontrer des personnes différentes de soi, et qui ouvre sur de nouveaux horizons. »


L'aspiration vers les expériences
Selon l’enquête de l’Observatoire du bénévolat, l’affi rmation d’un déclin du bénévolat lié au déclin du lien social (lire notamment le livre Bowling Alone du sociologue américain Robert Putnam (1995, 2000) doit être largement tempérée. Divers chercheurs - notamment en Suisse et en Allemagne - ne constatent pas un déclin général du travail bénévole, mais plutôt un abandon des formes traditionnelles d’engagement au profit de nouvelles formes et de nouveaux domaines (lire pour la Suisse : par ex. Samochowiec, Thalmann et Müller 2018).

Aujourd’hui, il faudrait toutefois pérenniser les élans spontanés du type de ceux nés pendant la pandémie malgré notre époque qui invite à zapper.

Pour Hartmut Rosa, sociologue et philosophe allemand, nul n’échappe aux effets de l’accélération dans notre société, ils sont issus en partie de l’utilisation de nouvelles technologies censées nous faciliter l’accès à plus de liberté, mais paradoxalement elles sont chronophages. De cette manière, elles accroissent aussi le rythme de la vie avec une accélération qui touche à la fois la vie personnelle et la vie sociale. Les identités deviennent tissées d’expériences juxtaposées : chaque engagement, amical, amoureux ou social finit par prendre la forme d’un «projet» sans projection.

 

Il faut aujourd’hui faire toutes sortes d’expériences,
y compris dans le domaine du bénévolat,
mais ces expériences doivent être de courte durée.



Selon Sandrine Cortessis, docteure en sciences de l’éducation, Senior Researcher à l’Institut fédéral des hautes études en formation professionnelle (IFFP), la quête d’éternité a été remplacée par une quête d’intensité, même chez les adultes. Coautrice du Bénévolat des jeunes : une forme alternative d’éducation, elle observe qu’il faut aujourd’hui faire toutes sortes d’expériences, y compris dans le domaine du
bénévolat, mais que ces expériences doivent être de courte durée. « Actuellement, en cette période de semi-confinement, on apprend plutôt à renoncer, à ne plus faire de nouvelles expériences, puisque nous sommes contraints de moins voyager, de faire moins de sport en équipe ou de ne pas participer à un événement festif. Une situation qui va peut-être donner envie de décélérer et de prendre plus de temps pour chaque projet bénévole. »


Bénévolat écologique
Au XXIe siècle, les activités bénévoles sur internet foisonnent. On gère le site d’une association ou d’une organisation, on anime un groupe sur les réseaux sociaux ou on publie et diff use des informations concernant des initiatives d’utilité publique telles celles destinées aux bénéficiaires de Caritas. La thématique écologique est également très attendue. Elle correspond aux nouvelles logiques du bénévolat qui s’érigent sur quatre piliers principaux : du temps, une thématique intéressante, de la flexibilité et une bonne équipe. De quoi imaginer des projets collectifs dans lesquels beaucoup de jeunes se reconnaîtront et qui pourraient s’articuler autour de l’économie de partage - covoituring, prêt de matériel, plantations de potagers communautaires, etc. - ou recyclages et upcycling divers et variés dans lesquels les Caritas régionales se profilent déjà aisément.
La Suisse, un pays d'engagement
La population suisse fait preuve d'un très fort engagement : 39% des Suisses âgés de 15 ans et plus ont une activité formelle au sein d'associations ou d'organisations ; 46% accomplissent un travail bénévole informel en prodiguant des soins ou un accompagnement à des personnes hors du cadre d'associations ou d'organisations, en apportant leur aide à d'autres, ou en donnant des coups de main dans le cadre de manifestations ou d'événements. Une autre forme de bénévolat est le don : 71% de la population suisse donne de l'argent, 7% donne son sang.

Il est presque impensable d'imaginer la Suisse sans travail bénévole. Qu'il s'agisse des organes et postes politiques et publics, des organisations d'aide et des églises, des acteurs sociaux, des nombreuses activités de loisirs, du domaine des soins ou de l'entraide de voisinage : partout, le travail bénévole joue un rôle central. Sans engagement bénévole, l'un des piliers de notre vie en collectivité s'effondrerait.
Propos reccueillis par Corinne Jaquiéry
Photo © Sedrik Nemeth

Sources :
L'Observatoire du bénévolat 2020. Markus Lamprecht, Adrian Fischer, Hanspeter Stamm (dir.) Éditions Seismo, 2020.
Accélération. Une critique sociale du temps, Hartmut Rosa. Traduit de l'allemand par Didier Renault, La Découverte, 2013.
Le bénévolat des jeunes. Une forme alternative d'éducation. Éditions Seismo, 2019.
Renseignements : www.benevol-jobs.ch



Article paru dans Caritas.mag No 23, Avril 2021, p.11


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